Étant donné que la Suisse compte beaucoup d’entreprises internationales, qui produisent et vendent de gros volumes dans le monde entier, cela représente un levier très puissant. Non seulement par effet domino sur la chaîne d’approvisionnement, mais aussi sur la concurrence. Car au-delà des aspects purement environnementaux, il y a bien entendu les enjeux réputationnels et la demande de la société, et donc des consommateurs. Sans parler du cadre normatif qui évolue progressivement dans différents pays, sachant que de nombreux États ont pris des engagements de réduction de 50% de leurs émissions d’ici 2030 et du net zéro d’ici 2050 dans le cadre de l’accord de Paris.
Comment le processus de validation SBTi se passe-t-il concrètement?
La première étape consiste à établir son empreinte carbone pour une année de base conformément au «Greenhouse Gas Protocol», qui est le référentiel mondial en matière de mesure des émissions pour les entreprises.
L’entreprise peut ensuite se fixer un objectif de moyen terme (5 à 10 ans) et/ou à horizon 2050 conforme avec la limite des 1,5° à ne pas dépasser, et calculer sa trajectoire de réduction vers cet objectif, en s’appuyant sur la méthodologie SBTi.
Pour se donner les moyens de tenir cette trajectoire, elle définit les mesures à mettre en place pour elle-même, ainsi que pour sa chaîne de valeur si elle compte plus de 500 collaborateurs. L’ensemble est ensuite soumis pour validation à SBTi, au sein de laquelle deux experts indépendants et leurs équipes vont valider les objectifs et revenir vers l’entreprise. Une fois que la validation est réalisée, l’entreprise est ajoutée sur le site Internet de SBTi, car SBTi est un engagement public et transparent. Par la suite, l’entreprise doit publier chaque année son empreinte annuelle et sa progression par rapport à ses objectifs de réduction des émissions.
SBTi n’est-elle pas réservée aux grandes entreprises, qui disposent de beaucoup de ressources, humaines et financières?
En Suisse, les PME représentent 10% des entreprises engagées avec SBTi. Je pense que ce chiffre va fortement augmenter. En effet, de nombreuses PME ont pour clients de grandes entreprises engagées dans SBTi, qui vont leur demander de réduire leurs émissions pour pouvoir atteindre leurs objectifs, lesquels tiennent comptent de toute la chaîne d’approvisionnement. Plusieurs grands distributeurs suisses encouragent par exemple déjà leurs fournisseurs à prendre des objectifs SBTi. Dans un autre domaine, nous avons été contactés récemment par une entreprise active dans un secteur de pointe, dont l’un des principaux clients basé à l’étranger exige dorénavant de ses fournisseurs qu’ils transmettent leur empreinte carbone et un plan de réduction des émissions de CO2 pour rester éligibles, ce qui équivaut globalement à ce que prévoit SBTi. Même si une adhésion à SBTi n’est pas spécifiquement demandée, je pense que toujours plus d’entreprises s’engageront avec SBTi, qui a le mérite d’être un standard mondial reconnu, crédible et transparent.
N’est-ce pas encore une énième contrainte pour les PME?
C’est sûr, gérer cette démarche représente des coûts et du temps pour une PME, mais il faut voir cet engagement comme une nécessité pour la pérennité de l’entreprise: la situation actuelle nous montre bien que de ne pas anticiper cette évolution peut avoir des coûts et des conséquences bien plus importantes. Pour faciliter la tâche des PME, SBTi prévoit une démarche simplifiée pour les entreprises jusqu’à 500 collaborateurs. Par exemple, les objectifs de réduction ne couvrent que les émissions directes et la consommation d’électricité de l’entreprise et n’incluent pas sa chaîne de valeur. L’engagement est donc moins contraignant, la soumission facilitée, et les coûts de validation réduits. Ainsi, la validation d’un objectif par SBTi coûte 1000 dollars US pour une entreprise jusqu’à 500 collaborateurs. À quoi il faut bien entendu ajouter les coûts liés à l’établissement de l’empreinte carbone et du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que la mise en œuvre de celui-ci et le suivi.
À l’heure où les prix de l’énergie flambent, SBTi est-elle un levier pour éviter les risques de pénurie et économiser de l’argent?
Si une entreprise se focalise sur le fait de réduire ses coûts énergétiques et sa consommation, on procèdera plutôt à un audit énergétique avec la mise en place de mesures pertinentes et compatibles. L’indépendance par rapport aux énergies fossiles et l’efficacité énergétique sont des leviers importants pour la réduction des émissions de CO2, et une entreprise pourra valoriser cet effort de réduction dans le cadre de ses objectifs climatiques. Cependant, il est possible que l’entreprise ait à actionner d’autres leviers de réduction pour satisfaire les critères de SBTi. Il faut aussi garder en tête que réduction des émissions n’équivaut pas à réduction immédiate des coûts, mais peut avoir des retombées positives indirectes. Cela se reflète par exemple dans le choix des matières premières utilisées par l’entreprise: se tourner vers des matériaux moins polluants peut se révéler plus cher, mais également attirer un nouveau marché. De même, mettre en place un plan de mobilité dans l’entreprise n’amène pas forcément un retour financier direct, mais d’autres avantages difficilement quantifiables, comme la qualité de vie, l’attractivité de l’entreprise et sa capacité à recruter des talents.
Interview: Corine Fiechter