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Photo: Munbaik / Pixabay

Société

La fibre verte gagne les vêtements de sport

Les matériaux techniques des vêtements sportifs ont un coût écologique trop important. Alternatives naturelles, démarche «zéro plastique» et réinvention du synthétique, les initiatives se multiplient pour préserver l’environnement sans nuire aux performances

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Partons pour une course à pied. On enfilera des couches successives – des sous-vêtements thermiques, un sweat-shirt, des leggings et la veste – sans oublier les baskets. Un équipement habituel, des matières familières, comme le polyester ou l’élasthanne, et d’autres fibres synthétiques conçues pour rendre notre course confortable, imperméable et légère.

On en oublierait presque un triste record: pour fabriquer nos vêtements synthétiques, une piscine de taille olympique de pétrole est utilisée toutes les vingt-cinq minutes. Et l’ensemble de leur lavage déverse dans l’océan un demi-million de tonnes de microfibres plastiques, chaque année, soit l’équivalent de plus de 50 milliards de bouteilles en plastique. Au total, ces matières synthétiques sont responsables des 35% de la pollution microplastique des océans. Et la mode sportive en est la plus grande demandeuse.

Un trop grand écart pour certains passionnés des activités en plein air: «Peut-on aimer faire du sport dans la nature et la polluer avec nos vêtements?» Le dilemme résonne aux quatre coins de la planète et fait du recyclage la grande tendance du sportwear. Un effort qui n’est pas suffisant pour certaines marques indépendantes, parties pour relever le défi zéro plastique.

Courir dans des sacs plastique?

«Vous habilleriez-vous en sacs plastique pour aller courir?» demande Nicolas Rochat. A Lausanne, le fondateur de la marque Mover, pionnière de la démarche plastic free, n’accepte aucun compromis. «On ne peut tout simplement plus se permettre de réinjecter dans l’environnement ces matériaux qui ne s’y dégradent pas naturellement.» Depuis quelques années, il ne travaille qu’avec des matériaux naturels, coton et mérinos certifiés, en renonçant à toute matière synthétique aussi bien qu’à des composants chimiques controversés. «Il nous a fallu du temps pour trouver des combinaisons de couches qui remplacent les matériaux techniques et ne leur cèdent en rien au niveau de la performance.»

Pour les couches extérieures, par exemple, un tissage à haute densité, à l’instar des trenchs de l’armée britannique, assure l’effet imperméable et coupe-vent. Au plus près du corps, une ouatine en laine et le coton répondent à une régulation thermique optimale. C’est en cherchant le maximum de bien-être lors de l’effort que Nicolas Rochat s’est tourné vers des matériaux naturels, «qui ont servi l’humanité dans ses expéditions depuis bien plus longtemps que le synthétique et permettent au corps de mieux respirer.»

Un avis partagé par la jeune marque néerlandaise Iron Roots, qui renonce elle aussi à toute matière synthétique. «Ces éléments ne sont pas seulement mauvais pour l’environnement mais ils ne sont pas si performants qu’on les présente, explique Erik de Groot, l’un des fondateurs. Par exemple, ils dégagent des odeurs dues à la prolifération des bactéries et provoquent de l’électricité statique.» C’est pourquoi Iron Roots a misé sur les alternatives végétales, comme le chanvre, l’eucalyptus et le bois de hêtre aux qualités naturelles antibactériennes, antistatiques et qui assurent «un maximum de confort».

La force de la banane

La compétition devient plus compliquée lorsque l’on parle de stretching ou d’élasticité car les fibres synthétiques restent pour l’heure imbattables. «Nous cherchons une solution naturelle, mais actuellement elle n’existe pas, c’est pourquoi nous ne fabriquons par exemple pas de legging», reprend Erik de Groot. Pour le reste, il ne voit aucune raison à ce que le plastique continue à dominer les podiums, si ce n’est le coût très bas de la production.

A Zurich, le cofondateur de Qwstion Christian Kaegi renchérit: «Le plastique reste très bon marché parce qu’on ne paie pas le vrai prix de l’utilisation de ces ressources, ni leur impact sur l’environnement ou sur la santé à long terme. Pour confectionner des sacs, Qwstion a mis au point une matière biodégradable à base de fibres de bananier. Bananatex, comme son nom l’indique, utilise des tiges qui ne portent qu’une fois leurs fruits et sont normalement vouées à la destruction. Suivant la manière dont il est travaillé, en jersey ou en tricot, ce textile a des propriétés intéressantes pour l’industrie sportive: il est «léger et élastique et peut être rendu imperméable grâce à la cire naturelle».

Mais si la production de masse passait au coton, au mérinos et aux fibres de bananier pour remplacer les matières synthétiques – quelque 70% de la production textile – ne ferions-nous pas face à d’autres problèmes de ressources et de pollution?

«On ne pourra jamais remplacer tout le polyester par les fibres naturelles, dit Christian Kaegi. La clé de la durabilité se trouve ailleurs, dans la manière dont nous concevons et nous utilisons les vêtements, tout comme d’autres objets. Nous avons besoin de ralentir, de revenir à une échelle plus humaine de la production et de la consommation. La réponse aux problèmes de la globalisation se trouve dans une myriade de solutions locales, dans la diversité, et surtout, dans notre façon de consommer.»

Chaussure durable

Les statistiques lui donnent raison: les Européens jettent chaque année entre 3,4 et 5,8 millions de tonnes de textiles – à peu près 11 kg par personne et seulement 13% de la production textile est recyclée d’une façon ou d’une autre.

D’où le message de ralentir mais aussi de changer de paradigme. Passer du «produire, utiliser, jeter» de l’économie linéaire à la conservation et à la récupération des matériaux en fin de vie propres à l’économie circulaire. Un concept qui séduit de plus en plus, y compris dans le sport.

Sans complètement renoncer au plastique mais en misant sur les matériaux recyclés, la marque française Circle a fait, comme le laisse deviner son nom, de la démarche circulaire son principe de base. Leur dernière innovation: une chaussure de running qui ne laisserait pas de traces dans l’environnement. «Nous avons dû partir de zéro et travailler avec des experts en biomécanique pour trouver un amorti optimal avec les matériaux naturels», explique Romain Trébuil, créateur de Circle. Une mousse à base de plantes de ricin, biosynthétique, de la laine et du Tencell, de la fibre de bois et du caoutchouc naturel: une partie est biodégradable, une autre recyclable, et une production basée en Europe réduit encore l’empreinte carbone.

Matériaux «circulaires»

«Sortir du pétrole est un objectif à long terme, commente Laurent Maeder, consultant en économie circulaire, mais au niveau de la production de masse, cela ne se fera pas du jour au lendemain.» Pour l’expert, «la qualité et la longévité des vêtements restent une priorité» et la meilleure solution actuelle serait de continuer à utiliser les fibres recyclées ou vierges de haute qualité. Il reste sceptique quant à l’avenir durable du tout naturel: «Les marques indépendantes travaillent avec des élevages et des fermes responsables, mais la production de la laine ou du coton à très grande échelle est problématique. Il existe des alternatives intéressantes à base de plantes et des matériaux «circulaires» conçus pour ne pas laisser de déchets.»

Bonne nouvelle: la qualité écotoxicologique des matières s’est beaucoup améliorée et l’usage de composants chimiques controversés, notamment dans les teintures ou les déperlants, a été réduit par la réglementation européenne.

Contre la «fast fashion»

Chez Greenpeace, qui s’est longtemps battue contre la pollution de l’industrie textile, Florian Kasser confirme que plusieurs marques ont fait de grands progrès dans la limitation ou la suppression des additifs toxiques, ainsi que dans la réduction des microplastiques dans les fibres. Il regrette cependant que les volumes de la production continuent à augmenter à une vitesse bien plus grande que ceux du recyclage.

«Toutes les fibres ont leurs inconvénients comme leurs avantages au niveau de l’impact environnemental, dit-il. Du côté de la conception, on peut travailler davantage la durée de vie et le potentiel de la circularité des produits. En tant que consommateur, on peut privilégier les matériaux certifiés et prolonger la durée de vie des vêtements en réparant ou réutilisant davantage. Et de manière générale, de s’opposer à la fast fashion en limitant la production de fibres neuves de mauvaise qualité et la quantité de produits mis en circulation.»

Pour Laurent Maeder, le grand défi de l’industrie, et pas seulement textile, sera la mise en place des infrastructures adéquates pour récupérer les matériaux usagés, comme composts industriels pour les biosynthétiques. «On a beau concevoir un produit qui pourrait être recyclé ou compostable, il finira dans une poubelle ou dans l’environnement si nous ne savons pas où le rapporter à la fin et manquons des plateformes pour donner à ces matériaux une nouvelle vie.»

Le «leurre» du recyclage

Dans ce sens, le nombre d’initiatives qui offrent aux consommateurs la possibilité de renvoyer les vêtements et chaussures usagés augmente, comme le nombre d’engagements de la part des grands noms de l’industrie de réduire leur impact environnemental. Patagonia affiche désormais l’objectif d’éliminer les fibres à base de pétrole vierges d’ici à 2025. Spécialisé dans les vêtements en mérinos, Icebreaker utilise à 95% les matériaux naturels ou les synthétiques à base de plantes.

Pour certains, c’est un signal positif d’un changement des esprits à grande échelle. Pour d’autres, un effort qui se perd dans les montagnes de vêtements synthétiques qui finissent chaque année dans les décharges. Nicolas Rochat ne décolère pas: «Le plastique recyclé est un grand leurre. Cette «solution» promue par les lobbies arrange tout le monde et donne bonne conscience au consommateur mais en réalité, le recyclage ne fait que contribuer à la pollution. Des études détectent de plus en plus de microplastiques dans l’air et dans l’eau, y compris celle de pluie. On ne peut plus revenir en arrière, mais on peut choisir de ne pas aggraver encore cette pollution qui finit par nous intoxiquer. Alors que des alternatives saines existent.»

Biosynthétiques, le futur de la mode sportive?

Des couches respirantes et imperméables, fabriquées sans utilisation de pétrole, recyclables et inoffensives pour l’environnement? La course aux matériaux techniques du futur est lancée, avec des start-up qui rivalisent d’idées pour fabriquer des fibres synthétiques à partir de plantes, de champignons et même… de protéines, comme cette soie d’araignée artificielle de l’entreprise japonaise Spiber qui a servi de couche extérieure à une parka de The North Face en collection limitée.

La Suisse n’est pas en reste. A Zurich, les fondateurs de la marque Dimpora ont mis au point une nouvelle génération de membranes respirantes et imperméables pour les vêtements de plein air, sans les perfluorocarbones (PFC), ces composés fluorés hautement toxiques mais encore largement utilisés comme déperlants dans l’industrie sportive. L’entreprise développe également une membrane biosourcée (à base de dérivés végétaux) et des options biodégradables.

Précision non négligeable: tout ce qui est bioplastique n’est pas forcément biodégradable. Une fois transformées en polymères, les matières végétales de base acquièrent la structure des matériaux synthétiques et leurs propriétés, à savoir une résistance qui fait leur force mais qui ne leur permet pas de se dégrader naturellement. S’il s’agit de matériaux biodégradables, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils se décomposent par eux-mêmes dans l’eau ou dans un jardin: ils nécessitent généralement un traitement beaucoup plus complexe dans les compostages industriels.

Mangera-t-on un jour son t-shirt?

«Tout le challenge consiste à pouvoir fabriquer des matériaux aussi performants et résistants que le plastique à base de pétrole mais en phase avec l’environnement, autrement dit, trouver le juste milieu entre la persistance d’une matière et sa capacité à se dégrader en fin de vie», explique Remy Buser, cofondateur de la start-up fribourgeoise Bloom Biorenewables, qui développe des alternatives biosourcées. Autre difficulté: pour le moment, personne n’a réussi à égaler certaines propriétés mécaniques des textiles à base de pétrole, comme l’élasticité ou le toucher, avec des matières biosynthétiques. «Mais ces alternatives permettraient de réduire drastiquement les émissions de CO2, et le graal de la recherche serait de trouver un compromis entre haute performance technique et zéro impact sur la santé et l’environnement.»

Dans le secteur alimentaire, un cap a été récemment franchi par l’entreprise Notpla, qui a développé un emballage durable, biodégradable et même comestible à base d’algues. «Le problème, dit Remy Buser, c’est que nous nous attendons à une durée de vie bien plus longue pour nos baskets ou nos vestes.»

Olga Yurkina, Le Temps (04.03.2023)

Sustainable Switzerland publie ici des contenus du Le Temps.

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